Ce mois-ci, Isabelle Collet, maître d’enseignement et de recherche en sciences de l’éducation à l’Université de Genève répond à nos questions sur Ada Lovelace, à l’occasion du Ada Lovelace Day, le 13 octobre prochain. 

Qui était Ada Lovelace ?

Ada Lovelace est née en 1815 en Grande-Bretagne, de la brève union entre le poète romantique Lord Byron et Anne Isabella Milbanke qui se séparera de son mari un mois après la naissance de Ada. Celle-ci ne rencontrera jamais son père, mort en Grèce en 1823.

Sa mère est convaincue que Ada a hérité du génie de son père mais certainement aussi de son attirance pour le vice. La faute en revient à la poésie romantique, accusée d’entraîner la dépravation. Elle veut en protéger Ada et s’attache donc à donner à sa fille une éducation moralement irréprochable et aussi loin que possible de la poésie : Ada apprendra les mathématiques, la morale, la science.

Mais sa mère est souvent absente, et Ada est élevée de manière solitaire et stricte par des préceptrices qu’elle déteste. A 13 ans, elle attrape la rougeole et reste paralysée pendant près de 3 ans. A cette époque, elle dessine les plans d’une machine à voler.

A 16 ans, Ada tombe amoureuse d’un de ses précepteurs de mathématiques et tente de fuir en pleine nuit. Elle est finalement découverte et tenue enfermée à la maison. Le scandale est évité, le précepteur congédié et Ada dûment sermonnée. Mais la preuve est maintenant faite pour sa mère : Ada a hérité du caractère aventureux, immoral, indépendant et passionné de son père.

A 17 ans, elle est « lancée dans le monde » et est présentée au Roi comme la fille de Lord Byron. Elle rencontre Lady Mary Somerville, une femme scientifique qui a réalisé une traduction très remarquée de l’ouvrage de Laplace “Mécanique céleste”. Mary Somerville encourage Ada à poursuivre ses travaux mathématiques.

En 1833, elles fréquentent ensemble les soirées scientifiques données par un mathématicien anglais de renom, Charles Babbage. Ada assiste à la démonstration de la machine à différences qui exécute mécaniquement des calculs. Elle est fascinée par la machine, la description qu’elle en fait à Babbage, mi-poétique, mi-mathématique enchante le mathématicien. Babbage a du mal à faire admettre à son entourage que sa machine est autre chose qu’un amusant jouet. Il lui semble que seule Ada comprend l’importance de cette machine et la portée universelle de ses travaux. Elle débute alors une collaboration avec Charles Babbage. A cette période, elle épouse le comte de Lovelace dont elle aura trois enfants.

L’apport réel des travaux d’Ada Lovelace à la machine analytique est difficile à évaluer. Babbage ne tenait personne au courant de l’avancée de ses travaux. Il est certain que grâce à leur amitié, Ada a été finalement la personne la mieux renseignée sur la machine. C’est elle qui en a fait la vulgarisation la plus claire et la mieux documentée.

Le premier article sur la machine de Babbage est rédigé en français par l’italien Luigi F. Menabrea en 1842. Ada Lovelace traduit l’article. Une fois qu’elle y ajoute ses notes, l’article double de volume. Son mémoire est publié sous ses initiales : A. A. L. afin de dissimuler son identité comme le faisaient d’ordinaire les femmes. Dans ce mémoire, apparaît une séquence d’instruction qui permet de calculer sur la machine analytique les nombres de la suite de Bernouilli. C’est le premier programme informatique qui ait été écrit et il utilise les mêmes termes et procédures (en particulier la boucle) qu’on utilisera plus tard en informatique.

Mais la machine analytique ne fonctionnera jamais. Babbage arrive à court d’argent et ne parvient pas à la mettre au point, le programme ne tournera jamais.

Ada Lovelace se consacre à d’autres activités : son obsession est de devenir célèbre pour pouvoir racheter les fautes de son père. Elle cherche aussi l’indépendance financière. Elle ne comprend pas pourquoi sa mère, en tant que veuve, et son mari peuvent disposer de leur argent comme ils l’entendent, mais pas elle. Elle tente alors de trouver une martingale mathématique pour gagner aux courses, mais se ruine et met en gage ses bijoux.

Elle essaie ensuite la harpe, le mesmérisme qui permettrait de soigner les gens par magnétisme, la phrénologie qui prétend que les bosses du crâne d’un être humain reflètent son caractère… Elle espère trouver un moyen de soigner ses « crises d’hystérie » de plus en plus fréquentes. En réalité, Ada Lovelace est placée dans une situation impossible : si elle est géniale comme son père, elle doit aussi être perverse comme son père. Elle vit alors sous la surveillance constante de sa mère, son mari, ses médecins et finalement d’elle-même, de peur qu’elle ne succombe à ses supposés démons intérieurs. Elle mourra à 36 ans d’un cancer, avant d’avoir pu réaliser la grande oeuvre qui l’aurait rendue célèbre… Et pourtant, sa grande oeuvre avait bien été écrite.

Pourquoi le nom d’Ada Lovelace reste largement méconnu ?

Tout d’abord, parce qu’au moment où elle écrit le fameux programme, personne, pas même Ada Lovelace ne se rend compte de la portée de ce qu’elle vient d’inventer. Par la suite, sa vie a été bien trop difficile et trop courte pour qu’elle puisse se faire un nom. Ce n’est que bien plus tard que son travail a été redécouvert et que son nom a été donné à un langage informatique. Par ailleurs, sur le plan mathématique, son mémoire n’a rien de remarquable. C’est ce qui incite ses détracteurs à affirmer qu’elle n’a rien apporter de particulier au travail de Babbage. En fait, c’est en tant qu’informaticienne et non en tant que mathématicienne qu’elle a fait une découverte remarquable.
De toute manière, Ada Lovelace a rejoint la longue cohorte des femmes de sciences dont le travail a été minoré, oublié ou récupéré par d’autres. Encore récemment, le Centre Hubertine Auclerc, en faisant une étude systématique des manuels de mathématiques a découvert dans un manuel de lycée que sous la photo de Marie Curie, la légende disait : « Marie Curie a souvent été associée au travaux de son mari : Pierre Curie ».(ref : http://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/les-representations-sexuees-dans-les-manuels-de-mathematiques-de-terminale-etude)

Quel est l’objectif du Ada Lovelace Day ?

Il a lieu le deuxième mardi d’octobre. Il a pour but de célébrer les succès des femmes dans les sciences, ingénierie, technologie et mathématiques. Il rappelle que la mixité n’est pas encore réalisée en sciences et technique. Malgré les très bons résultats des filles en sciences (elles sont plus nombreuses que les garçons à avoir des mentions au bac S en France), elles ne poursuivent pas dans ces disciplines. En informatique, plus particulièrement, les femmes sont moins de 15 % et les étudiants sont stupéfaits quand on leur apprend que la première personne à avoir écrit un programme était une femme. Le Ada Lovelace Day cherche à visibiliser les travaux des femmes scientifiques et faire en sorte qu’elles ne soient plus oubliées, comme Ada Lovelace et tant d’autres.