Rencontre avec Anne Rougée, auteure, comédienne, directrice artistique de la Comédie des Ondes.

Comment s’est faite votre rencontre avec l’écriture ?

Mon chemin vers l’écriture a été long. Chez moi, le goût des histoires que l’on invente et que l’on raconte remonte à l’enfance. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai tenu un journal intime dans une – très courte – période de mon adolescence, et j’ai retrouvé des pages où mon goût pour les mots est très clairement exprimé. Pendant la période de ma vie où j’étais ingénieure, j’aimais écrire pour raconter le pourquoi du comment des projets.

Je me suis mise assez tardivement à écrire pour le théâtre. Quand je me suis lancée dans la création théâtrale, j’ai d’abord eu beaucoup de plaisir à développer des propositions de personnages et de situations à la croisée des univers scientifiques et artistiques, à nourrir l’écriture des spectacles avec mes propositions. Je me suis inventée en sorcière experte en potions sonores pour parler au jeune public des dangers liés au bruit ou en clown Commissaire pour mener une enquête olfactive. J’ai pu ainsi contribuer à l’écriture mais sans tenir moi-même la plume, ou de manière collective.

Ensuite, quand j’ai envisagé un premier projet personnel sur Marie Curie, j’ai commencé par construire un montage de textes, en ajoutant des passages pour articuler ces textes dans une dramaturgie. J’ai d’abord improvisé oralement des passages avant de les écrire véritablement. Le premier pas était fait. Par la suite, j’ai développé petit à petit une écriture plus personnelle, en allant vers des sujets plus proches de moi, comme la place des femmes dans les sciences avec Les Femmes de Génie sont rares ? ou l’évocation de mon propre parcours avec Elle est mathophile !.

Je trouve que l’écriture c’est un peu comme le chant : il y a une voix intime et personnelle qui est là à l’intérieur de soi; pour qu’elle puisse éclore elle a besoin de liberté, mais aussi de bienveillance. Que cela vienne de soi ou des autres.

Quand je me suis lancée dans l’écriture du Grenier d’Élise, j’étais déjà plus assurée, et j’étais portée par ce sujet qui me tient à cœur en raison de mon parcours professionnel dans l’imagerie médicale et surtout des recherches universitaires que j’ai menées sur l’histoire de la découverte des rayons X et sa diffusion au tournant du XXe siècle. Sur le plan artistique, j’avais envie d’aller vers une forme comique évoquant à la fois l’univers de la foire et du Grand-Guignol, qui ont tous deux été traversés par l’engouement de cette époque pour les rayons X. Pour moi l’enjeu de cette écriture c’était de raconter l’émerveillement et l’effroi suscités par ces rayons d’une façon à la fois sensible et drôle, et pour cela il fallait réussir à évoquer la mort tout en faisant rire.

J’ai trouvé très amusant d’imaginer cette scène de ménage posthume construite à partir des personnages fictifs de Maurice et Henriette, dont le destin a croisé les grandes figures de cette découverte : Röntgen, Béclère, Radiguet mais aussi à leur façon Méliès, Sarah Bernhardt et la mystérieuse Élise du titre. J’étais déjà complètement nourrie par le sujet et l’écriture en elle-même est venue facilement. En cours de route j’ai eu envie de partager cet amusement avec Stéphane Baroux, qui a créé le rôle de Maurice, et je l’ai sollicité pour finaliser l’écriture. Nous avons peaufiné ensemble le déroulement de cette dispute à la fois macabre et joyeuse.

Qu’est ce qui vous a poussé à écrire la pièce Le Grenier d’Élise, sur l’histoire de la découverte des rayons X ?

C’est un sujet qui me passionne car c’est une histoire incroyable et méconnue dont j’ai eu connaissance après avoir travaillé durant plus de quinze ans dans le domaine de l’imagerie médicale. Mon intérêt personnel pour les rayons X est certainement lié à un problème de santé pendant mon enfance qui m’a valu d’y être exposée régulièrement. J’ai ainsi connu la pratique des examens sous radioscopie chez le médecin du quartier. Beaucoup plus tard, j’ai eu la chance de vivre une expérience professionnelle enthousiasmante en participant à l’invention de nouvelles techniques d’imagerie 3D avec des rayons X à la fin des années 1980.

À l’époque, j’avais seulement quelques vagues notions sur histoire de la découverte des rayons X. Les scientifiques connaissent peu en général l’histoire de leur domaine. L’histoire des sciences commence seulement à être enseignée dans les formations scientifiques, c’est pourtant fondamental. On imaginerait difficilement un enseignement de l’art sans enseignement d’histoire de l’art, c’est pourtant ce qui se passe souvent en sciences.

Au cours des recherches historiques que j’ai réalisées vers les années 2000, j’ai eu beaucoup de surprises en fréquentant les bibliothèques : l’histoire des démonstrations mondaines de Arthur Radiguet, l’utilisation des rayons X par les forains, l’impact énorme de la diffusion des premières radiographies et l’imaginaire qu’elles ont suscité. J’ai eu envie de raconter cette histoire car ces images nous concernent toutes et tous. Elles ont un pouvoir sur notre inconscient et la façon dont nous percevons notre corps et notre rapport à la mort.

Comment gérer la double casquette d’auteure et de comédienne ?

Je trouve souvent que ce n’est pas facile de gérer la double casquette de comédienne et de directrice de compagnie, mais je ne me suis jamais posé cette question de la tension entre la fonction d’auteure et celle de comédienne.

Sans doute parce que dans ma formation de comédienne j’ai pratiqué le travail de l’écriture orale, j’ai pratiqué la posture de la comédienne-conteuse. Pour moi, il n’y a donc pas de frontière franche entre l’écriture et l’interprétation.

Dans mon projet de compagnie dédiée à la médiation scientifique par le théâtre, il y a dès le départ l’envie d’interpréter mes propres histoires de sciences. Je monte donc les projets en partant d’abord d’un intérêt pour un sujet en tant qu’auteure associée à une envie de jeu en tant que comédienne. C’est ensuite qu’intervient le metteur en scène dont le rôle est fondamental. Une fois le texte écrit, ou en tout cas le sujet et la forme définis, j’ai toujours besoin de construire en collaboration avec quelqu’un qui puisse me donner un espace de liberté en tant que comédienne.